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Jean-François FOUILHOUX

La ligne nue.

 

J'aime l'argile.

Je suis toujours ému de voir l’empreinte de mes doigts dans la terre.

L'argile mémorise le moindre effleurement, garde le mouvement qu'on lui transmet. C'est immédiat ; la plus petite inflexion, voire hésitation laisse sa trace.

Elle est un enregistreur d'émotions. Un chercheur n'a-t' il pas dit que si l'on avait les outils appropriés, on pourrait entendre les sons émis dans l'atelier romain, inscrit sur la surface d'un pot pendant le tournage. Cette référence au rouleau de cire où se gravent les voix des premiers enregistrements donnent au média argile une place bien singulière.

Comme le pigment et le mur de la caverne, ou le crayon et le papier, la terre s'associe d'abord à la main, au corps ainsi qu'à toutes sortes d'outils.

Mon travail développe cette idée : j'écris dans la terre.

Je forme un mur d'argile  sur lequel je vais dessiner.

Mon crayon ? une lame flexible que je courbe à volonté. Elle dessine en volume. Je la déplace à l'intérieur du mur d’argile que je tranche, tout en réalisant un dessin sur la surface de la paroi. La ligne est continue comme une écriture et à l'intérieur de la terre, le volume se forme à l'aveugle. Je l'imagine, je le pense tout en le faisant. Je le vis.

La forme est alors composée de deux éléments emboîtés, séparés par un léger espace. On pourrait dire que chacun est le moule ou l'empreinte de l'autre, avec cet espace que Marcel Duchamp définissait comme infra-mince. Ils sont nés du même geste : le déplacement de la lame flexible, dont finalement, seule la trace m'intéresse.

Alors je sacrifie l'une des deux parties, que je  détruis pour laisser apparaître  l'empreinte du geste.

Trace d'énergie, de tension, comme le calligraphe, j'ai médité la gestuelle avant de l'exécuter. Une sorte de danse, de rituel, où le mouvement est ample, dynamique, continu et sans remords.

 

Dégager cette empreinte sensible, cette histoire d'un bref instant, l’épurer afin de lui enlever de sa matérialité, et la réduire à sa surface, comme une peau ou une feuille.

Puis la faire exister comme suspendue dans le vide.

Juste avoir l’énergie du geste qui se développe dans l’espace.

Encore une histoire entre plein et vide, récurrente en céramique.

C'est aussi le sens du céladon translucide. Lui aussi  symboliquement plein et vide :  matière et lumière .

 

Jean-François Fouilhoux, 2012

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